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En fait, on a donné ce nom impropre de "rapatriés" aux pieds-noirs qui ont été contraints de fuir leur pays après l'abandon par la France, en majorité en 1962.
En réalité on rapatrie des gens qui étaient partis et qu'on fait revenir
Nous, nous étions nés là-bas et souvent depuis plusieurs générations (plus de 110 ans pour ma famille)
Nous sommes donc des exilés
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Voici quelques récits de cette période : Violette - Patrick - Christine - Annie - Jules - Antoine - Philippe
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Suite au massacre du 5 juillet 1962 à ORAN , sans pouvoir être
défendu par l' armée Française, monsieur le grand charl... avait donné ordre à
Kazt de cantonner ses soldats dans les casernes et de n' en pas ouvrir les
portes, ma mère avait décidé de nous accompagner en FRANCE , à BORDEAUX, plus
précisément à CAUDERAN, chez sa plus jeune soeur , mariée à un militaire et
rentrée un an auparavant, pour nous mettre à l' abri , et pour que nous
puissions , ma soeur et moi continuer notre scolarité. Étant en 3ème j' avais du
arrêter en février 62, d' aller au lycée qui était occupé par messieurs les
gardes mobiles. Nous avions eu pendant quelques jours un lycée de remplacement
dans une rue transversale à la rue des arcades et au niveau de la place des
victoires. Lors d' un cours de.....nous avons entendu des rafales de
mitraillettes. Pour nous protéger le professeur nous avait fait nous cacher sous
les tables. De plus en arrivant à LA SOTAC à ORAN , pour prendre le car pour
rentrer à MERS EL KEBIR , aucun car, une grève........
Donc ma mère serait revenue à KEBIR en attentant, mais tout a basculé, mon père
a dit si tu pars je pars avec vous. Nous avons eu les billets pour embarquer le
9 -7- 62.
En rentrant en FRANCE ,nous avons été remboursé de ces billets, si mes souvenirs
sont bons 4 billets pour 8000francs= 80 francs, et maintenant c' est des
euros.......
A 5heures du matin nous sommes partis tous les 4 dans la camionnette de monsieur
FILIPI. Cette camionnette avait servie la veille ou l' avant veille à amener
notre buffet blanc de cuisine , bourré de choses à sauver. Je me souviens il y
avait mes livres , des prix obtenus en primaire et en secondaire, il y avait d'
autres choses ; mais voyant tout ce chantier de meubles jetés sur les quais ,
nous avons tout ramené chez nous
Nous avons attendu 8 heures devant les grilles, nous avons été transbahutés d'
un quai à l' autre dans des camions militaires, il y avait beaucoup de gens qui
attendaient le droit d' embarquer, certains campaient dans leur voiture, des
bébés et des personnes âgées, des femmes enceintes, comme la maman de SOPHIE,
sous ce soleil qui frisait les 50° en plein midi........
Mon père a fait toutes ces navettes avec sur ses épaules un matelas de 2 places,
plié en 3 et attaché avec des ficelles, sur la tète il avait 2 chapeaux de
paille qu' il aurait pu vendre plusieurs fois........
Pour que nos bagages et ceux de madame GARCIA mis pèle mêle sur le quai, soient
mis dans ce grand filet, via la cale du bateau, ma mère avait donné 5 francs à
un docker ALGÉRIEN qui s' est fait traiter dans sa langue de tous les noms par
un autre qui n' avait pas eu cette chance.....de pourboire
Nous avons embarqué assez tard dans l' après midi, vers 20 h le bateau a quitté
les quais, et, et çà c' est une image que j' ai gravé à jamais dans ma tète: je
me suis mise face à SANTA CRUZ , ORAN , les falaises de GAMBETTA et je me suis
dit: EH DIRE QUE JE NE REVERRAIS PLUS JAMAIS çà............
La montagne des LIONS CANASTEL KRISTEL.....
Vers le soir des poissons argentés nous suivaient. On avait des chaises longues
qui nous servaient de chaise et de lit. Moi j' étais souvent dans la cale , près
des toilettes , j' avais le mal de mer
Puis les cotes ESPAGNOLES LES BALEARES LES COTES FRANçAISESen vue.Nous avons
débarqué à PORT VENDRES dans la soirée du 10 juillet. Nous avons pris un train
jusqu' à TOULOUSE. Ala gare on nous a servi un chocolat chaud. Puis nous avons
pris un train via BORDEAUX gare ST JEAN et nous sommes arrivés le lendemain
matin le 11
Une religieuse de LA CROIX ROUGE nous a amené à CAUDERAN dans sa 2cv .Nous avons
récupéré nos bagages 8 jours après.
Puis , puis toutes ces nuits ce rêve , avec une gorge serrée , il ne fallait pas
que je craque , nous dormions tous les 4 dans une même chambre , celle de mes
cousins.....
C' est une phrase de JEANNOT P, dite à SANTA CRUZ , lors de notre 1er retour ,
je le cite parce qu' elle correspondait bien à ce que je vivais: JE ME COUCHAIS
JE ME LEVAIS ET JE VIVAIS AVEC MERS EL KEBIR.......
Ce rève je l' ai réalisé en 2005 en y retournant , en filmant et surtout en
voyant de mes propres yeux CETTE BELLE RADE........
Voilà le film de ce que je revis chaque année à l' approche de juillet.....
Violette
Violette 2
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nous avons atterri en Normandie sur les conseils d'une soeur a
ma mère qui habitait la région depuis l'indépendance du Maroc . Elle nous avons
dit qu'il y avait beaucoup de travail
et c'était vrai ! mais quelle erreur nous avons fait !! . Le premier logement a
été un lycée de Rouen ensuite ,nous sommes restés 1 an dans un hôpital qui
venait a peine d'être construit .Heureusement que nous avons rencontrés quelques
compatriotes (les Carandante ,les Pietravalle , Françou Corral le coiffeur ,
Roger Verdé et Rosica , les Selitto etc ..)
Mon père a été embauché dans une usine où il y avait plein de personnages
détestables (ceux qui ont organisés une propagande mensongère contre nous )
L'hiver 62 a été très très froid ,un vrai cauchemar !! Ensuite mon grand père
qui était avec nous est tombé malade de chagrin ,il est décédé un an après .
Par la suite , les choses se sont un peu améliorées ,mais mes parents ne se
sont JAMAIS habitués a ce pays, leurs coeurs est restés en Algérie .
Nous sommes partis d'Oran (près de la pendule) sur le ville d'Alger qui était plein a craquer , c'était au mois d'Aout 62
Patrick
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MES SOUVENIRS 1962 Juillet 2010
Mon histoire s'identifie à la vôtre... Mon histoire s'apparente à la vôtre... c'est notre histoire, c'est aussi un peu celle de chacun d'entre nous.
Mers-el-Kébir… un petit havre de paix et de sérénité… là, où la mer et le soleil, le long des jours et des heures, s’enlaçaient pour nous inonder de chaleur et de lumière… là, où les cultures diverses cohabitaient et, loin de nous éloigner et de nous diviser, nous rassemblaient par leur mélange de couleurs pour nous faire grandir et nous épanouir sous l’arc-en-ciel de l’insouciance et de la fraternité… c’était mon petit coin de paradis et je ne le savais pas encore !
C’est sûr, il y avait des heurts, des haussements de tons, des « tonterias », du « jalero » entre espagnols et italiens… mais, très vite, les rires, les gestes fraternels agrémentés de processions, de fêtes patronales… finissaient par réunifier tout ce petit monde. Ce n’était certes pas, le petit monde de Don Camillo… Mais, quoique, on s’en rapprochait !
C’était comme ça… C’était là-bas… C’était chez moi et… C’était bien !
Et puis, ce fut les « évènements »… ce temps long,
interminable, féroce, qui a déchiré, fait éclater toutes les communautés,
européenne, arabe et berbère, avec son lot de souffrances, de morts, de
désespérance.
Les deux dernières années, avant l'indépendance, j’ai vécu à Oran, à la cité
Jean de la Fontaine. J'avais 11 ans en 1962 et mes yeux d’enfant voyaient la
peur, l’incertitude, les interrogations dans les yeux de mes parents… Dehors,
c’était le chaos !
Il y a eu Rosette et ses deux enfants, André et Sylvette, et toutes ces affiches
placardées dans la ville d'Oran qui les montraient morts, assassinés. Je revois
encore cette petite fille sur le sol tenant des fleurs cueillies dans ses mains.
Ces images m'ont hantée jusqu'à la découverte du site de Françou où, là, j'ai pu
leur donner un nom (je n'en avais jamais parlé avec mes parents)... ce qui m' a
permis, aussi, lors de notre périple dans le midi, de découvrir à travers les
rencontres et les conversations échangées où se trouvait leur tombe (à Toulon)
pour me recueillir et leur donner enfin un visage ( il y avait leur photo sur
leur tombe).
Il y a eu, pendant des mois, le bruit assourdissant et terrifiant des rafales de
mitraillette laissant derrière elles la douleur et la peur : ce vieillard arabe
effondré devant la Casiro (bâtiment de la sécurité sociale qui se trouvait à la
cité...), cette mauresque, blessée à la jambe, qui criait... ma mère et ma
tante, revenant des courses, qui rampaient pour échapper aux balles... et nous,
mon père, mon petit frère et moi, du 13e étage, les regardions tremblants et
impuissants.
Il y a eu ces concerts de casseroles aux balcons, aux fenêtres qui, aujourd'hui
encore, résonnent dans ma tête et qui nous amusaient tant, mon frère et moi...
nous ne mesurions pas le désespoir des sons qui en émanaient : "Algérie
française..." « Algérie française » !
Il y a eu cette balle qui a traversé notre salle à manger et qui a forcé mon
père à me jeter à terre. Il y a eu ces allées et venues incessantes à la cave
pour nous protéger des fusillades.
Il y a eu cette visite des C.R.S. à la maison... et cet impressionnant
"monsieur" qui, me prenant à part, me demanda :"Ton papa a-t-il des armes... Où
les cache-t-il ? Qu'y a t il derrière cette porte ? (porte, condamnée par le
réfrigérateur qui donnait sur la loggia) et moi, apeurée, je m’appliquais pour
bien lui répondre... !
Il y a eu le 5 juillet... la liesse de la population et les « you you « des
vainqueurs dans les rues d’Oran mais… ce n’était pas nous ! Je découvrais, dans
les yeux de mes parents, la tristesse et l’incompréhension. Ils n’avaient rien
demandé si ce n’est que de continuer à vivre en paix et en frères dans ce pays
où ils avaient éclos. OUI, ils y étaient nés, avaient grandi, travaillé dur ,
aimé et, voilà que, d’un coup de folie, tout leur était fauché et enlevé… Il n’y
aura plus jamais de moisson…
Il y a eu, enfin, ce départ précipité... cette fuite (à laquelle je ne donnais
pas encore de nom)
pour Alicante, Crevillente, où se trouvait ma famille maternelle.. . et mon père de dire à ma mère : « Je vous mets sur le bateau. Je vous rejoindrai plus tard, le temps de récupérer du linge et quelques meubles. » Dans la même semaine, il était avec nous, les mains vides... La veille de son arrivée, il avait été pris dans une rafle à Oran avec d'autres. Ils allaient être tués quand un
chef du F.L.N. est arrivé, leur a demandé leurs
papiers et les a laissés... partir... Un véritable miracle, je crois ! sauver sa
vie, le reste, tant pis ! Tant d’autres n’avaient pas eu cette chance…
Il y a eu, dans mes yeux et mon cœur d’enfant, ces "belles vacances en Espagne"
mais pour « les grands » elles avaient … un goût amer d’exil et d’abandon.
Puis... notre arrivée en France, à Tarbes où nous sommes restés une année, mes parents, mon frère et moi, ma grand mère maternelle, une sœur à ma mère, à 6, dans une chambre de séminariste.. . mais, dans la précarité et la pauvreté, on peut trouver… l'accueil, l'amitié et la chaleur de la rencontre. Nous étions, vous l'avez compris, devenus des réfugiés, réfugiés dans le grand séminaire de Tarbes et là, il y avait un prêtre, l'abbé Raymond Salis, qui nous a tant aimés, qui nous a tant donné, un prêtre qui a porté nos souffrances, notre solitude, notre désarroi... qui a, tout simplement porté notre histoire ! et cet homme là, a laissé, dans mon cœur, une empreinte indélébile que ni le temps ni les évènements de la vie n'ont pu effacée.
Cet homme m'a accompagnée et accompagne, encore aujourd'hui, mon quotidien. Cet
homme là , par son témoignage de vie et de foi, m’a donné la soif et le goût de
Dieu… Il aura fallu seulement une année pour mettre en terre la graine !
Comme il ne me semblait pas possible de retourner "là-bas", je me suis mis en
quête de le retrouver. Il était devenu le lien unique qui le reliait à mon
passé. Sa vocation propre l’enracinait en Dieu pour qui il avait donné sa vie.
J’ai perdu mes racines quand le bateau a quitté mon port d’attache. J’ai, alors,
placé mes racines dans les siennes .
Je l'ai revu, ce prêtre, quelques années plus tard, en vacances dans les hautes Pyrénées avec Jean et deux de nos enfants. J'ai revu le séminaire et son parc où, pour la première fois de ma vie, j'avais vu la neige le jour de Noël. Le parc ressemblait étrangement au paysage enneigé d’une carte postale. J'ai revu notre chambre, où dans notre chaos, nous avions vécu, pourtant, de si bons moments et je l'ai revu, lui. Il n'avait pas beaucoup voyagé depuis notre départ : il était devenu curé de la paroisse voisine du séminaire, à présent désaffecté. Les retrouvailles ne peuvent se raconter. Elles sont du domaine du cœur et du silence ! Toujours est-il que Dieu m'a fait un merveilleux cadeau (et ça ne peut venir que de Lui)...La veille de notre fin de vacances, la Providence nous l'a fait rencontré sur un chemin de randonnée en pleine haute montagne : lui et nous ! c'était un rêve, c'était magique... non, c'était bien réel ! c'était beau ! c'est une belle histoire .
Depuis, nous nous sommes revus deux fois et les
vœux chaque année ! La belle histoire a continué... Le père André Pastor de MeK
que nous avons accueilli chez nous, en septembre dernier, lors de la retraite
internationale des prêtres a ARS, le connaissait et logeait dans une chambre
voisine de la sienne. ! un autre coup d'œil du Bon Dieu ! Par ces quelques
lignes, je veux aujourd’hui, lui dire MERCI … Je veux, aujourd’hui, lui rendre
hommage pour tout le bien et la compassion apportés aux pieds-noirs. ..!
Tarbes, oui... mais, il y a eu Foix dans l'Ariège où, pour la première fois,
j'ai vu pleurer mon père de désespoir... puis une halte à Toulouse (la ville
toute rouge) et enfin... Lyon et ces regards de mépris pour nous qui étions
étrangers, qui venions de d’autre côté de la Méditerranée. Ma prof de français
en 5e, durant toute l'année scolaire m'a montrée du doigt et se moquait de moi
parce que j'étais Pied Noir, donc différente . Je pleurais tous les jours, en
silence, sur le chemin de l'école. J'avais froid, j'avais peur, j'étais seule,
sans amis ! et, en moi, un désir intense, puissant, profond qui ne faisait que
grandir jour après jour, année après année... celui de retourner chez moi, là où
il y avait le soleil, là où avait vécu ma famille, aujourd’hui, perdue et
dispersée (nous étions tous séparés et nous n'avions pas beaucoup d'argent pour
nous permettre de nous revoir souvent)
Inexorablement, les années ont passé… Le silence avait creusé et fait fondre le désir d’un retour et l’attente devenait vaine et sans espoir.
Et puis, il y a eu en 2005, le décès de mon père et en 2006, le décès de ma mère et …tout en moi a explosé. C’était, pour ainsi dire, l’enfant qui brisait et sortait enfin de sa coquille, l’enfance écartelée mise au grand jour. J’ai voulu partir (sur le champ !) pour retourner dans mon vrai "chez moi" ; celui, en fait, que je n'avais quitté que des yeux et que je n’avais jamais oublié.
Il fallait reconstruire le passé pour enfin construire l'avenir. Et me voilà à
la Toussaint 2006, après 44 années d'absence, sur le sol natal… Le vide n’avait
jamais été comblé. La faille était encore béante ! Rien, en apparence, ne
semblait avoir beaucoup changé... et pourtant ! Les dégradations, les
salissures, certes présentes, ne m'ont pas éclaboussée. Images, flashs,
souvenirs vivaces, voix, odeurs, soleil, mer se sont, alors, entrechoqués,
entrelacés pour me chuchoter à l'oreille : "Te voilà… enfin… comme au premier
jour !". Tout était là, comme avant… du moins, je voulais le croire !
C’est à Mers-el-Kébir même que je voulais être le 2 novembre, jour de mon anniversaire, pour « refaire » connaissance avec le village, la rue et la maison qui m’ont vue naître... L’émotion était grande, innommable et mon cœur s’est trouvé noyé dans un océan de larmes.
Puis, vite, au cimetière... Mais quel choc ! Tout avait été détruit (ou presque) : les tombes éventrées, souillées, profanées, à présent anonymes, pleuraient leur abandon et leur solitude. Certaines, on ne sait pourquoi, avaient été épargnées… et dans ce désastre, je n'ai pu retrouvé le caveau familial où reposaient mon frère et mon grand-père maternel… ce cadeau là, je l’avais destiné à mes parents. Mais, il m’échappait. C ‘est, alors, que quelqu'un, venu de nulle part, peut-être envoyé par le ciel, est venu à moi. C'était Kader, celui qui devait être appelé plus tard : « notre ambassadeur » et là, où tout était resté entre parenthèses, là où tout était resté en suspens, là, la vie a repris… apprivoisée par cette rencontre fortuite et inattendue.
Le livre était resté toujours ouvert…j'avais
simplement perdu la page de mon histoire. Mais, aujourd’hui, je l'ai retrouvée
et je peux enfin continuer à l'écrire !
Kader m’a accompagnée dans cette quête. Il a réveillé ma mémoire voilée par
l’absence et le temps . Il suffisait simplement d’en retirer le voile. Tout
m’était resté si familier… chaque chose, chaque petit coin habité ou parcouru,
chaque souvenir allait, peu à peu reprendre place et, pour ma part, j’ai eu la
chance de retrouver intact maisons, lieux, tant à Mers-el-Kébir qu'à Oran et de
rencontrer des gens formidables de par la chaleur de leur accueil, leurs
paroles, leurs gestes, leur présence. J'ai cru qu'à mon retour en France tout
serait fini, que je n'en reparlerais plus... C'était une erreur de ma part. J'y
suis retournée en 2008 et en 2010 !
Le passé, le présent, l'avenir forment un tout , cimentent notre « moi » et rien
ne peut les dissocier. Le passé, quel qu'il soit, ne doit rentrer dans l'oubli
et, ce serait une erreur de vouloir le faire revivre. Il nous faut simplement
l’assumer. Alors, il nous servira de tremplin pour affronter présent et avenir
avec élan et générosité. Les guerres, les catastrophes naturelles, en dépit de
la désolation et de l’aridité qu’elles laissent derrière elles, engendrent
toujours des élans de générosité, de fraternité.
Merci Kader... nous nous sommes rencontrés... tu nous as fait connaître Françou
et son site et aujourd'hui, Mers-el-Kébir vit d'une autre façon... à la lumière
du Mers-el-Kébir d'autrefois
MERCI de votre présence journalière.. . Nous ne nous sommes jamais quittés
« Vous pouvez arracher l’homme de son pays mais vous ne pouvez pas arracher son pays du cœur de l’homme. » (John Dos Passos)
« Un peuple sans mémoire est un peuple sans
avenir. » (Jean-Paul II)
Bises à chacun...... ....Christine
A la différence de beaucoup de départs longs et douloureux, tragiques même, de certains pieds-noirs, mon départ d’Oran, se déroula dans un contexte si on peut dire, plus joyeux ; car je partais pour la France, mais en colonie de vacances. J’avais presque 12 ans et ma sœur Bernadette 15 ans et demi. Ma mère nous faisait quitter Oran et nous mettait ainsi à l’abri. C’était ce, que je l’ai entendu dire, à plusieurs reprises, à cette époque.
Pour ma sœur et moi, aller en colonie de vacances, c’était une première. Bernadette, vu son âge, était aide monitrice. Les Religieuses Trinitaires ( de l’école de la marine, rue rognon )organisaient ces colonies tous les ans, mais cette année là, étant donné la situation qui régnait sur Oran, ma mère décida de nous inscrire.
J’ai retrouvé, l’autorisation de sortie d’Algérie pour me rendre en France, que mon père qui travaillait à Philippeville, a signée. Cela peut paraître bizarre, puisque l’Oranie est un département français en 1962
Beaucoup de souvenirs refont surface à l’occasion de ce départ. Un des plus comiques, à mes yeux, fut les incessantes recherches que ma mère fit dans la ville, pour nous trouver une valise. Les prix, comme par hasard, avaient explosé. Trop chère, disait ma mère, aux vendeurs qu’il soit catholiques ou juifs .Elle n’a pas manqué de leur dire que c’étai du vol, et qu’ils se trompaient aussi, si ils croyaient qu’ils resteraient vivre en Algérie (cela concernait les Juifs) qui ne manquaient pas de répondre qu’ils n’étaient pas concernés par l’indépendance, ni par un départ d’Algérie. Autre souvenir : les achats de vêtements. Ma mère devait nous constituer un trousseau de linge, (petits pulls, aujourd’hui on dit tee-shirt, et shorts, tabliers, en grande majorité,) selon la liste fournie par les sœurs. Trousseau qui fut marqué de la marque MM34-(=M.M. initiales de la famille et n°34, chiffre de la colonie)
Ce fameux jour du départ c’était le 10 juin 1962 – levés tous très tôt- pour se rendre à pieds au port – je me souviens que le ciel était très bleu, et je crois n’avoir jamais vu auparavant cette luminosité si grande et si intense. Tous nos effets à ma sœur et moi, étaient rassemblés dans une valise, que ma mère a portée tout au long du chemin. Notre casse-croûte, dans un petit sac dit de sport, à bandoulière – les sacs à dos, on n’en avait pas.
Arrivés au port, on trouve facilement l’endroit où les sœurs se tiennent. Elles rassemblent et notent les filles au fur et à mesure, qu’elles arrivent. Autour de nous, le port est rempli de familles qui attendent. Et C’est un brouhaha incessant de bruits, de voix, d’enfants qui crient et pleurent. Nous, les enfants pour la colonie de vacances, nous restons agglutinés, serrés prés des Religieuses. Puis vient le moment de monter dans le bateau, ma mère est encore là, et nous aide, ma sœur et moi, à monter sur la passerelle. Des jeunes militaires français, sont là aussi. Et nous aident dans la manœuvre et veulent soulager ma mère de la valise. Mais elle refuse, et leur dit d’un ton coléreux, « pour ça, vous êtes bon, pour nous faire partir, mais pas pour nous protéger, nous les Français » Le moment des adieux, j’embrasse ma mère, qui nous fait ses dernières recommandations «Bernadette, occupe-toi bien de ta sœur Annie, et soyez sages là-bas, à Marcillolles avec la sœur Micaela. « Sœur Micaela, est la responsable de la colonie de vacances.
Puis vint l’installation dans le bateau- nous nous retrouvons toutes dispersées dans des cales. Dans la notre, au centre, un ring et des chaises longues sont à notre disposition. Il nous faut les déplier, et nous installer dessus pour le voyage.
Une seule fenêtre pour aérer cette grande pièce, et qui se ferme par un lourd battant en bois. Le battant relevé, ça laisse entrer beaucoup d’air frais, fermé, on suffoque de chaud pendant la nuit. Pendant le voyage, j’irai à plusieurs reprises, à cette fenêtre prendre l’air, et regarder la mer et les remous que fait le bateau. C’est à cet endroit là, que sœur Michaela, et une ou deux religieuses s’installent.
Quelqu’un dit « on s’en va » Je remonte vite, sur le pont, car le bateau ‘’LE SIDI BEL ABBES’’ s’est mis vibrer, c’est encore la matinée mais je ne sais pas l’heure qu’il est. Je n’ai pas emmené ma montre offerte pour ma communion au mois de mai. Je peux encore m’accouder au bastingage, et regarder la ville d’Oran qui s’éloigne de plus en plus. Autour de moi, j’entends des gens qui pleurent… et qui agitent des mouchoirs. Et on finit par entonner ce chant « ce n’est qu’un au revoir mes frères « je crois bien que c’était une religieuse qui a pris l’initiative de ce chant. Très intense moment d’émotion, autour de moi, à cause du chant. Moi aussi, à ce moment-là, je suis très émue, les larmes aux yeux, mais je crois que c’est de quitter ma mère, que je ne vois plus sur le port, alors qu’elle me dira être restée jusqu’à la fin…Bernadette m’a rejoint, et me conseille de regarder notre Dame de Santa-Cruz, peut-être c’est la dernière fois qu’on la voit…ajoute-t-elle. Je crois que c’est seulement à ce moment que je réalise que…mais non la colonie de vacances est prévu pour un mois, on reviendra à Oran. Mais il suffit de regarder autour de nous, sur le pont : des familles entières, l’air catastrophé, sont installées là, à l’air, assis à même le sol du pont, ou sur des chaises longues, emmitouflées dans des vêtements chauds malgré le soleil, entourées de leurs bagages et ballots pour certaines. Pas de cales ou de cabines pour elles. Elles feront toute la traversée dans ces conditions.
Notre voyage commence. Et on aura l’autorisation d’aller et de venir tout au long de celui-ci, à notre guise. Et je ne m’en priverai pas, car rester enfermé dans la cale, c’est très difficile. De plus, je ne connais aucune des filles du groupe. Mais heureusement tout se passera bien. Les ordres et la discipline des religieuses, quand il faut manger, rester pour la sieste, et dormir pour la nuit, entre autres, seront très respectés. Et l’ambiance est relativement sereine. Par contre, Patatras, quelle horreur de découvrir nos WC, dans un tel état – WC à la turque, alors que le voyage est a peine commencé, sont déjà débordants d’excréments et de plus bouchés. Car quand Je tire la chasse pour essayer de les nettoyer, cela fait refluer tout le tas vers moi. On aura malheureusement à supporter ces odeurs, car rien n’est fait pour régler ce problème. Je m’échappe bien vite. Heureusement un autre WC plus loin est à notre disposition…
Trois repas tirés du sac – pain et fromages, oranges, gourdes d’eau. Pas de saucisson. Ca n’aura pas tenu la chaleur du voyage. Quant au jambon, pareil … On est pratiquement toutes au même régime. A croire que nos mères se sont données le mot. Les sœurs surveilleront et veilleront à ce chacune d’entre nous ait à manger et à boire….
A plusieurs reprises, je remonterai sur le pont, un foulard sur la tête, car le vent est très fort. La température est difficile à supporter, car avec le soleil d’un côté il fait très chaud alors que le vent fouette les visages, et nous coupe le souffle. Avec le recul, je me demande comment les personnes sur le pont, ont pu supporter ces conditions inhumaines de voyage…..
La vision de la mer est d’une beauté grandiose, magnifique ; devant le bateau, bondissant des dauphins semblent montrer le chemin…. Nous sommes très nombreux à admirer ce spectacle…. Le bateau donne l’impression d’aller vite….très vite….. Il monte et redescend sur les vagues….Mais je n’ai pas le mal de mer….. Une seule nuit à passer à bord, notre manteau en guise de couverture, et malheureusement on ne peut pas faire sa toilette au réveil.
Notre arrivée à Marseille, dans l’après-midi du 11 juin – Mes souvenirs sont incomplets. Je me souviens que nous sommes, à un moment, tout le groupe dans une espèce de hangar, à attendre je ne sais quoi. C’est la Croix Rouge, qui est là, et nous propose boissons et sandwichs. Un conseil et blague très ironiques circulent très vite parmi nous, mais qui les a fait partir je ne sais. « Faut pas manger les sandwichs (qui consistent en 2 tranches fines de pain avec du jambon) car c’est du pain de patos, d’ailleurs il y a des pattes de canards, à l’intérieur. » Cela a pour effet de dérider l’atmosphère pesante et nous faire rire. Mais les religieuses, je crois, nous rappellent à l’ordre. « Car on ne peut pas se passer de manger, maintenant que nous sommes en sécurité en France. »
Là-dessus, arrive ma famille installée à Marseille. C’est ma tante Fernande, la sœur de ma mère, avec son mari et Maryse, leur fille. Elle veut nous prendre et nous accueillir chez elle. Elle est complètement hystérique et me sert dans ses bras à m’étouffer. Elle argumente et lance à la sœur Micaela, « c’est la guerre chez eux, ma sœur, ce sont les files de ma sœur, elles ont besoin de calme, chez moi, elles seront bien…. » Elle réussit à me faire pleurer… Mais la sœur lui répond : Madame, je suis parfaitement au courant, j’en viens moi aussi d’Oran….Mais je ne vous laisserai pas emmener ces enfants. SA mère me les a con fiées, à moi, et je me dois de respecter. Et il n’est pas question de vous les donner. Là-dessus, ma tante se calme et propose de nous accueillir quelques jours, et qu’ainsi après, elle nous ramènera à la colonie. Mais Sœur Micaela, ne veut rien savoir et n’est pas d’accord. Ma tante accepte bien malgré elle, la décision de Sœur Micaela.
Le récit de mon voyage d’Oran à Marseille est achevé. Je le rédige aujourd’hui, en juillet 2012, alors que 50 années ont passé depuis. Mes souvenirs sont restés figés et sont très fidèles à ce ne fut notre traversée. Mais pour décrire mes émotions et mon ressenti, je ne suis pas très à l’aise, car je ne veux pas tomber dans le mélo.
Cependant je sais que ce voyage a laissé en moi et pour toujours, des souvenirs d’intense émotion de chagrin, de peine et de rage, aussi d’avoir vu, moi une enfant de 12 ans, les gens autour de moi, malheureux et plein de tristesse pleurer, et constaté les conditions de voyage dans lesquelles, on les a obligé à voyager, pour sauver leur vie. Il n’est pas inutile de préciser, que les navires embarquaient plus de passagers, au-delà de leur capacité permise….contrevenant en ça aux ordres des administrations françaises.
De regrets aussi, regrets d’être partie sans ma famille, nantie d’une seule valise. Sans emmener mes objets familiers, mes cahiers de classe, quelques jouets. J’ai avec moi à ce moment de ma vie, que mon chapelet, offert par une voisine pour ma communion, et mon missel et toutes ses images pieuses. Regrets encore, de ne pas m’être rendu compte que je quittais Oran, pour toujours.
Aussi des peurs, car Bernadette et moi, sommes les 2 seules, à être en France, alors que tout le reste de la famille, grand-mère, oncles, tantes cousins cousines, ma mère, mon père, ma sœur ainée son mari, la grand-mère de celui-ci, mes deux frères, et ma famille de Mers el Kebir, ils sont encore tous en Algérie, et vivront tous cette dramatique journée du 5 juillet à Oran. Mais tout cela, je l’apprendrais bien plus tard – récit partiel par ma mère, pour ne pas nous effrayer davantage, ma sœur et moi ? Sans doute.
Mon récit va se poursuivre avec notre installation et notre vécu à la colonie de Marcillolles, dans l’Isère, souvenirs heureux et insouciants car l’on ne sait rien de ce qui continue de se passer en Algérie…et en particulier à Oran. Viendra ensuite notre arrivée en Octobre1962, en Alsace, terre généreuse et terre d’accueil.
Le 5 juillet je me trouvais rue
d'Arzew, "salle des jeux automatic" avec mon copain Norbert GARCIA et son frère
Daniel.
A 10h45 descendaient du haut de rue d'Arzew des camions bondés d'arabes avec
drapeaux, poussant des you you. A 10h50 arrive une jeep avec des hommes en
uniformes militaires. En descend un militaire ou policier qui commence à faire
la circulation angle rue de la fonderie et rue d'Arzew à hauteur du cinéma
Régent. Il s'agissait du musulman qui travaillait au cinéma Régent comme
placeur. Les quatre autres soldats rentrent dans la salle des jeux et nous
demandent de ne pas bouger, de mettre les mains derrière la tête. Un par un nous
sommes questionnés sur la connaissance de caches d'armes dans le secteur. Nous
avons les mains ficelés par des liens en plastique. Le tri commence à se faire.
Avec mon copain Norbert, nous nous regardons dans les yeux et profitant d'un
moment d'inattention de nos gardiens, nous montons rue de la Fonderie, rue de
Salles et prenons à gauche vers la rue Bruat; là nous trouvons refuge au
domicile de la famille GARCIA. Je vais attendre 20 heures pour regagner le
domicile de mes parents cité Perret au pont St Charles. Nous avons sauvé notre
peau grâce à Dieu.
LE 6 juillet mon père se rend au marché de la gare pour vendre le reste du
poisson non vendu. Là le musulman qui travaillait au marché recommande à mon
père de partir au plus vite et de ne plus laisser sortir les enfants. Le 7 et 8
juillet nous nous dépêchons de mettre le maximum de vêtements + la machine à
laver dans une 2cv fourgonnette.
Ne trouvant plus de places aux messageries maritimes,mon frère Gilbert qui
effectuait son service militaire à la base de MERS-EL-KEBIR a demandé à son
pacha de bien vouloir lui rendre un service. C'est ainsi que nous avons embarqué
à bord de ce bateau "transport de matériel de guerre", le BLAVET.
Avec 213 civils, nous y avons passé 2 nuits. Mon oncle RUIZ François qui nous
accompagnait a dit à mon père à hauteur de la pointe de Kristel: "MIRA EMILIO
SANTA CRUZ ES LA ULTIMA VEZ QUE PUEDE ADMIRAR ORAN. Nous remercions vivement ce
patron de la base de MERS-EL-KEBIR. Le 12 juillet au matin nous accostons à
Toulon vers 7h.
C'est le début d'une vie forcée qui commence en Métropole. Je remercie encore la
marine nationale.
Antoine BURLE : Je n'ai rien oublié
Il y a des souvenirs qui finissent par s'obscurcir jusqu'à devenir imprécis, flous et disparaître de notre mémoire. D'autres qui sommeillent comme en hibernation resurgissant en des laps de temps de plus en plus espacés et restent plus longtemps mais s'effacent un jour ou l'autre comme usés par le temps et puis il y a des souvenirs, ceux-là beaucoup plus rares qui ne s'effaceront jamais comme celui que je vais vous raconter maintenant.
Je n'ai rien oublié, du premier au dernier instant, dans le moindre détail. Ce
souvenir est gravé dans ma mémoire comme un tatouage, comme marqué au fer rouge,
comme ces signes ou dessins rupestres exécutés par les premiers hommes il y a
des millions d'années au fond des grottes, témoin d’une une autre vie.
Le 24 mai 1962 au soir, il régnait une atmosphère inhabituelle à la maison, ce
n'était pourtant pas "la fièvre du samedi soir", nous en étions bien loin. Non,
nous étions tous, mes parents et moi, affairés à remplir et boucler quelques
valises et sacs marins de linge. Il y avait bien quelques photos et petits
objets souvenir, mais pas trop, nous n'avions pas grand place. De plus ma mère
avait préparé un « capaso » et un sac à dos d'aliments pour le voyage.
Nous y voilà!
Mes parents, en début de soirée, étaient allés chez nos plus proches voisins pour leur dire au revoir. Monsieur et Madame Costa, Madame Lopez Carmen et ses enfants, sa mère Madame Rodriguez, les Navarro, Font, Gross, Philippe et Paquita, la famille Torres. Deux rues plus haut, ils frappaient à une porte particulière. Derrière, nous entendions un :"chcoun?" (Qui est-ce) méfiant, peut être craintif. Ma mère répondit à voix basse:" c'est Carmen et Henri" alors la clé tournait dans la serrure et la porte de la petite cour s'ouvrait laissant apparaître Abdelhamman et Zora qui regardait par-dessus son épaule d'un air interrogateur. - on vient vous dire au revoir- dit ma mère. - demain matin très tôt nous partons nous embarquer pour aller en France. Les deux femmes s'étreignaient en sanglotant, Zora étouffait ses cris contre l'épaule de ma mère pour ne pas être entendu par les voisins mitoyens. Mon père et Abdelhamman se serraient la main très fort et ne purent s'empêcher de s'embrasser comme deux frères qui se séparaient pour ne plus se revoir. Après ces adieux émouvants, ils frappèrent à la porte de la vieille Mimouna qui pleurait déjà comme une madeleine, comme si elle savait ce que ma mère allait lui dire. Mimouna resta un long moment assise parterre sur des coussins, prostrée se tenant le visage des deux mains en marmonnant comme une lamentation en Arabe, elle priait pour nous, pour elle, pour tous ceux qui partaient et ceux qui restaient.
Tout comme nous, beaucoup de ces gens-là n’y étaient pour rien dans ce qui nous arrivait.
Ce soir-là, on se couchait plus tôt que d'habitude, mais à part mes petits frères et sœurs, personne ne dormait vraiment. J'entendais mes parents qui parlaient, qui se demandaient ce que nous allons devenir.
À quatre heures du matin, mes parents se levaient, malgré l’heure matinale, la nuit m'avait parue très longue, nous buvions un café au lait accompagné de tranches de pain beurrées à la margarine "Astra", puis nous prenions les bagages préparés la veille, posés prêt de la porte et nous partons laissant la clé sur la porte. À moins d'un miracle, nous savons que nous ne reviendrons plus jamais. Cela n'empêcha pas ma mère de demander à mon père: "tu ne prends pas la clé?" et mon père lui répond un "pour quoi faire?" laconique. La pauvre femme ne réalisait pas encore que nous ne reviendrons plus jamais.
Il faisait encore nuit, les rues étaient fraiches et silencieuses. Quelques rares fenêtres trahissaient par leur lumière ceux qui se levaient tôt pour aller travailler ou peut-être même qu’ils s’apprêtaient comme nous à partir pour la France ou ailleurs. Plus tard j’appris que des familles de Pieds Noirs était parties pour s’installer en Espagne, en Italie, en Argentine ou en Australie et dans bien d’autres pays. Personne ne disait mot parmi nous. Nous descendons le quartier Saint Michel, puis arrivés sur la corniche, nous longeons celui de la Joconde, notre ancien quartier, d’avant les inondations de 57, pour atteindre un peu avant la Sardine, la porte en fer grillagée grande ouverte qui donnait accès au terrain militaire puis à l'embarquement. A quelques centaines de mètres, un gros paquebot avait accosté hier. Il n'était pas encore six heures et déjà beaucoup de monde était arrivé, peut-être même que quelques familles qui venaient d'Oran ou des villages voisins, étaient là depuis la veille. Il y avait le long de la clôture en barbelés, quelques voitures abandonnées. Nous prenons la file d'attente devant une tente pour nous faire enregistrer. Sous la tente, il y avait deux ou trois tables, où étaient installés deux militaires par table, de la Marine Nationale. Ma mère avait déjà les billets d'embarquement qu'elle avait acheté deux jours plus tôt avec l'argent que lui avait envoyé sa sœur, la tante Yvonne, mariée à un Normand depuis vingt ans et installée à Vire dans le Calvados. C'est là que nous allons.
Avec mes parents, mes frères et sœur, quelques valises à la main, nous embarquons sur le «Ville de Marseille», magnifique paquebot blanc et noir avec une cheminée rouge, qui avait accosté contre les quais du port militaire. Guidés par les marins, nous avons franchi la passerelle après des heures d’attente sous un soleil de plomb, la file était longue de plusieurs centaines de mètres de ces réfugiés, devenus en métropole les "Rapatriés d’Algérie".
Traverser la Méditerranée et ne plus jamais revenir dans ce village, sur cette terre qui a vu naitre mes ancêtres, mes parents, puis moi et mes frères et sœurs. Contrairement à certains, nous ne laissons là-bas, rien qui pourrait nous faire regretter quelques biens que ce soit. Mes parents, étaient des gens très pauvres. Nous n’avions pas de maison, ni de meubles ou d’objets d’art ou de valeur. Outre nos valises contenant quelques vêtements et petits objets sans intérêt, nous n’amenions avec nous que des souvenirs que je ressasse parfois, ...souvent.
Nous avons attendu jusqu'à midi avant d'emprunter la passerelle du quai au bateau. Il faisait très chaud et moi qui avais endossé une canadienne parce qu'il n'y a plus de place dans les valises et pour ne pas risquer de l’oublier. Mon père qui avait connu la France pour l’avoir traversé de Marseille à Strasbourg pendant la guerre de 39/45, (il était de ceux qui s’était battu au péril de sa vie pour que les Français restent Français) m'avait dit :"tu verras en France, il fait très froid".
A peine la passerelle franchie, nous étions dirigés vers les cales où déjà beaucoup de monde s’est installé. Il y a même une famille de Harkis. Il fait dans ces lieux une chaleur étouffante et sitôt les bagages posés, je m’empresse de faire un tour sur le pont.
Le lendemain, en début d’après-midi, nous apercevons au loin les cotes de la métropole. Je ne me pose même pas la question de savoir où nous accosterons. Marseille, Port-Vendres, au diable vauvert ou autre endroit. Nous étions en France, point ! J’ai passé la nuit sur le pont sur une chaise longue avec une couverture. J’ai très mal dormi et au petit matin, j’ai mal à la tête, je m’aperçois que j’ai des grosseurs sortes de glandes qui ont grossi de chaque côté de l’occipital. Je descends en cales, il fait toujours aussi chaud mais de plus une forte odeur de vomit emplit l’espace pourtant très spacieux. Beaucoup de monde n’a pas supporté la chaleur et les tangages du navire. Les marsouins argentés gracieux, rieurs, nous accompagnent de chaque côté de bâbord et tribord, comme s’ils nous souhaitaient la bienvenue. Savent-ils qu’il nous faudra affronter une autre sorte de combat ? Celui de l’intégration face à des gens hostiles à notre arrivée sur la terre métropolitaine, pour la plupart, nous sommes les envahisseurs, des indésirables. D’autres moins belliqueux, nous aideront par la suite.
A peine débarqués, ma mère précise notre destination au comité d’accueil de la Croix Rouge, il y a des navettes qui conduisent ceux qui comme nous savent où aller. A la gare Saint Charles, nous prenons le train en direction de Paris, nous voyageons toute la nuit. C’est la première fois que je monte dans un train. Installés dans un compartiment équipé de couchettes, mes deux frères dorment au-dessus de nous, ma petite sœur dans les bras de ma mère, en face mon père et moi. Ma sœur Henriette était déjà partie avec un vieil oncle, «el tio Rojo» depuis deux mois déjà. Au petit matin, nous arrivons gare de Lyon, un taxi nous amène gare Montparnasse et nous repartons vers la Basse-Normandie. Il fait beau, le soleil brille et je regarde défiler le paysage. Les prairies verdoyantes, les pommiers tout en fleurs, dire que mon père m’avait dit qu’en France il fait très froid ! Pendant la guerre, il avait du avoir des hivers exceptionnels et il en avait gardé un souvenir du froid en France qui l’avaient marqué. A midi, le train prend sa halte à la gare de Vire. Petite ville de dix ou douze milles habitants. Mon oncle Paul et ma tante Yvonne avec tonton Rojo et ma sœur, nous attendent sur le quai. Que d’Émotion !
Nous sommes la première famille de pieds Noirs qui arrive dans cette petite ville perdue au fin fond du bocage Normand, dans le Calvados. Nous essuyons les plâtres. Même la sous-préfecture n’Était pas au courant qu’ils étaient susceptibles accueillir des Rapatriés d’Algérie. Nous sommes bien accueillis malgré tout. Plus tard, à peine quelques semaines d'intervalle, deux ou trois autocars ramenaient d'autres familles de Pied-Noir. Mes parents ont obtenu un appartement très rapidement, mon père est embauché dans une usine du coin, le salaire n’est pas mirobolant mais c’est toujours ça et l’avenir ne se présente pas très mal tout compte fait. Il me plairait de continuer mon apprentissage de boulanger commencé à la «boulangerie de Paris» rue El Mongar à Oran, que j’ai interrompu pour partir, mais je renonce très vite, les conditions ne me plaisent pas du tout. Jusque-là tout va bien ! Le pire reste à venir.
Le pire commence avec l’hiver. Nous allons subir un des hivers mémorables sur le territoire métropolitain. 1962-1963. Le froid, la neige, la pluie glacée, le verglas, les congères, la rivière «La Vire» large par endroit de cinq ou six mètres, gelée sur une épaisseur d’au moins dix centimètres, les gamins font du patin à glace, le verglas sur la chaussée, les trottoirs, c’est des situations à se rompre le cou à chaque pas. J’ai les pieds, les mains et les oreilles gelés, je suis complètement paniqué, je n’ai jamais vu ça. J’ai la piquette dès que je mets le nez dehors. Au secours ! Mon père avait raison, il savait de quoi il parlait quand il m’a dit qu’en France il fait très froid.
Je ne sais pas ce qui se dit entre métropolitains Normands à propos des Pieds Noirs, mais nous n’en souffrons pas du tout. Je me suis même fait un très bon copain de quatre ou cinq ans mon ainé qui a fait son service militaire en Algérie. C’est bien plus tard que j’ai entendu des réflexions, des insultes ou des quolibets sur les pieds Noirs. C’est entre vingt et trente ans, qu’il a fallu que je réplique à des réflexions pas très catholiques : Limite castagne ! Et comme je le dis souvent, même encore plus de cinquante ans plus tard; «C’est toujours ceux qui en savent le moins, qui en parlent le plus». Au point de ne pas savoir faire la différence entre un Français et un Algérien. Pour beaucoup d’abrutis, nous sommes tous des «bougnoules». Bien sûr, pourquoi plus les uns que les autres? Pour les plus évolués dans la bêtise, les Pieds-Noirs qui viennent d’Algérie sont des colons qui ont exploité les Arabes. Etc. etc. Mais ça je suis sûr que tout le monde l’a entendu et subit.
Les années ont passé, je me suis marié (avec deux Normandes), j’ai eu sept enfants et sept petits-enfants. Aujourd’hui à la retraite depuis déjà sept ans, je me la coule en pente douce, je ne suis jamais retourné à Mers-El-Kébir. L’opportunité ne s’est pas présentée, mais en ais-je vraiment envie ? Je ne sais pas. En partant, nous avons laissé une jolie petite ville, je ne crois pas, compte tenu des photos que j’ai pu voir que je la retrouverais avec autant de charme qu’elle eut.
Voilà mon récit sur les circonstances de mon départ avec mes parents, de notre village. Un peu en retard par rapport aux autres Kébiriens, mais ces jours ci, je suis très occupé et chacun le sait, en tout cas beaucoup d’entre nous, y’a pas plus occupé qu’un retraité qui n’a plus le temps de rien. Piano, piano !
Antoine
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Cher monsieur,
J'ai 65 ans et je suis originaire du nord de la France, natif de Valenciennes exactement.
A l'âge de 11 ans mon père fut embauché par la société HLM de Lille pour la fonction de concierge dans une nouvelle cité construite en toute hâte sur les ordres de De Gaulle et destinée à accueillir les rapatriés d'Algérie.
Nous étions au début de l'année 1962 et cette cité s'appelait "la briquette". Vous me direz, à 11 ans on est encore un gosse, mais ce que ma famille a vécu, tout du moins vu, moi en particuliers m'est resté, et est toujours dans ma mémoire de petit ch'ti comme l'on dit.
Cela fait maintenant 54 ans et c'est comme ci cela était arrivé hier, je me souviens des plus petits détails de ces gens arrivant, pour certains en 4ch avec des roues à flancs blancs, puis d'autres gens en car, puis finissant à pied, et comme la cité était encore en plein travaux entrain de construire d'autres HLM, il y avait donc un chantier avec des planches de coffrage pour les murs banchés en vrac, et une scie circulaire de chantier également, et j'ai vu des hommes en arrivant se confectionner avec ces matériels des lits pour se coucher le soir même de leur arrivée.
Dans ma cage d'escalier, j'ai pris contact avec nos nouveaux voisins du dessus où il y avait un petit garçon de mon âge qui était très perturbé d'arriver dans ce pays si lointain que le Nord. C'était le printemps et il faisait bon heureusement, je l'ai reçu comme un ami car il me faisait de la peine et il était triste je l'ai aidé quelques jours plus tard à faire ses devoirs son nom était Ségura, et avec le recul maintenant je repense à ce drame que les "pieds noirs" ont vécu et à chaque documentaire historique retraçant cette époque je ne peux m'empêcher de verser des larmes devant la télé.
Pourquoi ? Figurez-vous que mes parents 3 ans plus tard en 1965 ont divorcé, et de par le hasard de la vie, ma mère quittant mon père nous a emmené chez ses soeurs à Roanne dans la Loire. A l'époque certes ce n'était pas loin pour les rapatriés qui eux étaient arrachés de leur terre natale, mais mois étant du nord, une terre attachante, je quittais aussi mon pays natal (que je n'est revu qu'une fois depuis car je n'ai plus de famille maintenant). Alors quelque part je comprends et prends part à la peine des pieds noirs et je les comprends d'autant plus que eux ont quittés leur terre natale pour toujours et j'ai beaucoup de compassion pour eux.
A la briquette ils nous ont apporté leur chaleur humaine, quand je les regardais jouer à la pétanque, je m'imaginais à Mers el Kébir sous un oranger dans la douceur du crépuscule un soir d'été. J'ai beaucoup de peine pour ces gens qui ont perdu leur paradis et malheureusement cela fait des années que cela s'est passé et nous vieillissons tous ensemble et c'est une page d'histoire qui se referme. Si vous avez vécu ce drame, Monsieur, qui lisez ce mail, sachez que dans un petit village de la Loire, quelqu'un pensera toujours à vous et à votre amour de votre terre natale.
Cordialement
Philippe
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