Les Petits Chanteurs

Accueil Page précédente

 

En décembre 1963, Jean Frédéric Mauro, qui m'a envoyé ce texte, faisait partie de la chorale de l'école Bossuet à Paris (il est aujourd'hui ténor... du barreau). Cette chorale s'est rendue en Oranie et à Mers el-Kébir. Voici des extraits du récit rédigé en décembre 1964 dans le bulletin de l'école :

Texte (reproduit avec autorisation ...merci)

Le 23 décembre, au petit jour, un car de l'Armée de l'Air vint donc prendre quarante-cinq Petits Chanteurs à la porte de Bossuet, pour les conduire à Orly.

Tous étaient prêts à l'aventure, mais je n'ose pas dire que les coeurs des mamans qui les regardaient partir étaient remplis de la même assurance.

Pourquoi douter ainsi de la Providence ? ... Justement ce jour-là, Elle avait nettoyé le ciel et nous avait préparé un clair soleil, Nos deux avions jumeaux décollèrent donc sans encombre, et, en nous allongeant paresseusement dans nos fauteuils renversés, nous pensions avec simplicité que, si la vie d'un Petit Chanteur est le plus souvent pleine d'heures de travail fastidieuses, elle comporte aussi parfois des instants pleins de douceur.

Au reste, rien à dire de ce voyage sans autres faits notables que les attentions de notre Stewart et de notre charmante hôtesse.

Quatre heures après, nous étions à Oran, où nous attendaient le bon père Gendrot, à la fois aumônier de la Marine et curé de Mers el-Kébir, avec deux de ses paroissiens qui, dès cette première minute, laissaient paraître un peu d'émotion... Mais un car de la Marine nous emporta bien vite vers Oran, sur une route bordée de palmiers, semée de femmes voilées et d'hommes en turbans : nous étions dans un autre monde.

Et ce fut l'arrivée à Mers el-Kébir.

"Les voilà ! Les voilà !" criaient les enfants par les rues ... Bientôt toute la population européenne était rassemblée sur la place, chacun réclamant "son" Petit Chanteur ou même son "enfant".

Ca et là, nous avons connu bien des accueils aimables ; de plus émouvants, jamais. D'ailleurs l'avenir nous réservait des gestes d'amitié plus saisissants encore.

Mais l'Abbé avait déjà été pourvu des instructions de M. l'Aumônier et du programme fixé par lui. Cela débutait le soir même.

Aussi, à la nuit tombante, nous prenions le car pour nous rendre à la base aéronavale de Lartigue... Là, nous avons chanté, bien sûr, mais là aussi nous avons commencé à comprendre ce que signifiait notre présence parmi ces hommes... Si l'on nous envoie tous les flashes qui ont été pris avant, pendant et après l'audition, il nous faudra, je crois, un album entier pour cette seule visite.

Au foyer, autre épreuve : pour les estomacs, celle-là... Et nous ne savions pas encore que pendant quatre jours il en serait ainsi!

***

Après une telle journée, la nuit fut excellente, et un brillant soleil nous accueillit sur les terrasses, avec le café au lait du réveil.

Le soleil, les mimosas, les géraniums, les bougainvillées, les palmiers... Sous ces effluves, dans ces couleurs, nous aurions bien volontiers oublié qu'on était le 24 décembre, si l'abbé n'avait pas été là. Mais il y était - et une longue répétition nous aida à fignoler un répertoire, déjà su évidement, mais qui devait être parfait pour répondre à ce qu'on attendait de nous...

L'après-midi, plus détendus, nous nous retrouvions sur le port militaire et bientôt sur des navires, grimpant des échelles, longeant d'étroites coursives ou dégringolant vers des machines aux cuivres étincelants, mais bien compliquées pour notre inexpérience. Exploration passionnante cependant pour de jeunes têtes éprises d'aventure, d'héroïsme et de gloire !

Mais le plus étonnant n'était pas là - et le chroniqueur se trouve bien embarrassé pour vous faire deviner ce qu'il ne doit pas décrire.

Nous sommes entrés dans la montagne ...

Mais dites-moi, avez vous lu "Tintin", "Spirou", ou mieux encore ces romans illustrés de science-fiction qui vous parlent de villes imaginaires et inimaginables, creusées dans les profondeurs souterraines ou sous-marines ? Oui ! Eh bien c'est cela que nous avons vu, exactement cela, et je ne saurais mieux faire que de vous renvoyer à ceux que je ne croyais pas devoir appeler un jour de "bons auteurs".

***

Mais Noël approchait, je veux dire cette "Douce Nuit", où nous attendait tant d'efforts et ... tant de succès.

La première messe eut lieu à la Base Navale, dans la vaste salle pleine de marins et en présence de l'Amiral en personne. Ce fut bien, malgré les pleurs d'un petit Jésus vivant, que nous n'arrivâmes pas à endormir.

Après un café chaud, au Foyer, nous repartions bien vite pour une seconde messe, la vraie Messe de Minuit, qui avait lieu à la paroisse. De cette messe là je ne vous dirai rien; je me bornerai à vous citer ce qu'en dit la presse officielle, au lendemain de Noël.

    " ... Les voeux de M. le Curé ont été réalisés, dépassés même, puisque sur le parvis de l'église... des centaines de fidèles ont assisté à la messe de minuit. ET si beaucoup n'ont pas vu grand chose de l'office, tous ont pu entendre les voix pures et mélodieuses des Petits Chanteurs. En effet ... La Manécanterie de Bossuet, filiale des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, avait bien voulu venir jusqu'à Mers el-Kébir.

    Aussi dès 23 heures, la place de l'église était-elle transformée en un vaste parking. D'Oran et de la région, des centaines de fidèles étaient venus assister à cet office, rehaussé par la présence de cette magnifique chorale.

    Vêtus de leur traditionnelles chasubles blanches, les Petits Chanteurs furent à la hauteur de leur réputation. Que ce soit "Il est né le Divin Enfant", le 3notre Père" ou "O Douce Nuit", l'interprétation à plusieurs voix et les divers soli du magnifique soprano furent excellents.

    Monsieur le curé est comblé. La voix des anges s'est fait entendre en cette nuit de Bethléem à Mers el-Kébir"

    (Extrait de La République, d'Oran)

Mais nous n'étions pas au bout de nos peines, et notre nuit de sommeil ne fut pas bien longue, puisqu'à 9 heures nous reprenions le car pour nous rendre à la Cathédrale d'Oran où l'on nous attendait pour la Messe Pontificale.

Bel office, suivi de très près; belle assistance, toute attentive; charmant accueil de Monseigneur, dans son beau jardin aux murs crêtés de bougainvillées roses, sous les palmiers qui nous protégeaient du soleil splendide de ce jour de Noël : tout fut parfait et tout reste pour nous inoubliable.

Il vaut mieux peut-être ne pas insister sur le retour... et le repas de Noël... Chers amis de Mers el-Kébir, comme vous nous avez gâtés !

A 18 heures nous étions de nouveau à Oran, en l'église du Saint Esprit, et je crois bien que tous les européens de la ville s'y était donné rendez-vous. On s'écrasait. Pour nous, nous étions très émus, et les larmes qui coulaient devant nous, librement dans l'assistance, faisaient bondir nos coeurs, affinaient nos voix. Jamais nous n'avions mis tant d'âme dans nos chants.

Mais lorsqu'à la fin de la cérémonie notre car démarra dans la rue pleine de monde, je ne puis vous dire ici ce que nous avons éprouvé. Nos gorges se serraient pendant que nous faisions de la main un geste d'adieu, car au-dehors ce n'était que bravos, mouchoirs et ovations sans retenue.

***

Le lendemain devait aussi être une journée remplie de joie que nous n'imaginions certes pas encore.

Au port, trois navires nous attendaient; un gros, l'Alerte, et deux petits.

Pendant que les grands partaient sur ces deux derniers, avec le cher abbé Rouet, pour une chasse au harpon mouvementée, c'est sur le plus gros que s'embarquèrent les vingt-cinq Soprani. Et nous voici en pleine mer !

Tout l'équipage était à notre service, répondait à nos question, nous expliquait tout, nous laissant même toucher à la barre...

Soudain, branle-bas de combat. Le Commandant venait de faire jeter une cible à la mer et les hommes, casqués maintenant, se précipitaient aux pièces des plages avant et arrière : trois hommes à chaque canon. Quant à nous, nous avions été installés, sous la passerelle, derrière le blindage du gros mortier supérieur qui lui ne tirait pas.

Nous avons ainsi connu les émois d'un combat naval, et cela aussi restera dans nos mémoires... "Merci Commandant !"

Après la visite rapide d'une boulangerie ultra moderne, où le pain se fait presque tout seul, nous étions de retour dans "nos" familles; mais très tôt dans l'après-midi, nous repartions déjà vers une destination inconnue.

Je veux dire qui si nous savions bien où nous allions (à Bou-Sfer), nous n'imaginions pas du tout ce qui nous attendait au bout du voyage.

Nous avons donc longé la mer longtemps, et puis nous avons vu les arbres s'effacer, les herbes et les buissons épineux apparaître... Encore une plage aperçue entre deux dunes et nous étions sur un plateau désert : le camp du 2è R.E.P.

Nous avions certes ce qu'est "la légion", ce qu'est un légionnaire; nous ne nous attendions pas à tant d'austérité.

Quelques minutes plus tard nous étions en scène, dans un mess un peu plus accueillant. Devant nous, des hommes aux regards profonds et calmes, la poitrine chamarrée de décorations... Oui, des hommes, des vrais !

A la fin du concert, dans une vibrante allocution, le Père Lassalle, leur aumônier, nous affirma que nous avions plu à ces "sans famille" par notre jeunesse et la fraîcheur de nos voix, qu'ils avaient apprécié aussi notre exécution, car parmi eux beaucoup sont des artistes - et nous l'avons bien vu au reste, car s'il y a eu, ce soir-là, une inspection de détail au Quartier, il devait manquer bien des écussons et bien des flammes aux uniformes !

Vaillants Légionnaires, qui avez si peu parlé mais tant applaudi, sachez que vous nous avez un peu impressionné nous-mêmes, au début de cette audition - mais que nous estimons comme la plus belle de nos victoires d'avoir conquis vos coeurs, et que nous conservons comme le plus beau de nos trophées le foulard "historique" remis au petit soliste, aussi bien que le képi blanc et les épaulettes rouges offerts à la Manécanterie toute entière! ...

De retour à Mers el-Kébir, nous avions la surprise de voir, une fois de plus, la population rassemblée dans la grande salle des chères Soeurs Salésiennes, toutes affairées elle aussi.

Champagne ou jus de fruit, selon les âges, allocution, remise du "Livre d'Or" (ou plutôt du livre des "épreuves ! ") de Mers el-Kébir à chaque Petit Chanteur... Merci, merci encore, pour cet adieu si touchant, braves gens de là-bas ! Que le Bon Dieu vous rende ces témoignages d'amitié en grâces de courage et d'énergie, pour vous re-bâtir vite un autre foyer sur un autre rivage. N'oubliez pas ce que vous disait ce soir-là, la voix d'un petit soprano Parisien :

    "La plus belle des vérités, c'est l'ESPERANCE ! "

Il ne nous restait qu'un dernier concert à donner, en soirée à la Base Navale. Il eut lieu dans la grande salle de cinéma, où nous avions chanté Noël, deux nuits plus tôt.

Ce fut un triomphe vrai, sans réserves. Plusieurs morceaux furent bissés et on nous rappela... M. L'Aumônier général de la Marine nous dit ensuite que nous avions bien rempli "notre mission".

***

Il est bon de nous l'avoir dit, mais je crois, Petits Chanteurs, que c'est nous surtout qui avons gagné à ce voyage.

Nous y avons trouvé des joies de toute sortes, des amitiés véritables et surtout l'assurance, très douce à nos coeurs, que nous avons fait un peu de bien.

A. M.

Fin du texte

 

Commentaires en 2005 de Jean Frédéric Mauro - Avocat à la Cour

Ce court voyage m'avait  fortement marqué  et j'ai toujours gardé le souvenir de l'accueil reçu   je logeais  chez une vieille dame très gentille en haut du village qui a du ensuite rentrer  en métropole.
 
Les personnes et les métiers  présentés sur  votre  site  démentent l'idée  de riches colons... que l'on   décrit  faussement.
 
La dispersion de  votre  communauté  a été  sûrement très douloureuse  mais  vous avez su recréer  grâce à l'Internet un village virtuel   et  faciliter la conservation des liens  entre les personnes .
 
Il est réconfortant que des habitants actuels vous envoient des photos.